Inventer des recettes Dès les années héroïques, je suivis les péripéties des algues alimentaires. Biologiste formée à l'algologie, je connaissais les algues de Roscoff, station particulièrement riche en espèces (625) à cause de sa situation au confluent du Gulf Stream et des forts courants froids de la Bretagne. Je rédigeais alors un ouvrage sur les plantes sauvages comestibles, lorsque j'appris que les femmes de l'île d'Houat (au large de Vannes, en Bretagne du sud) avaient fait déguster un gâteau d'algues à Madame Giscard-d'Estaing.

Je recherchais alors les algues dans notre littérature culinaire ancienne et moderne : à part un entremets gélifié au lait de la côte bretonne, le "blanc-manger breton", rien n'existait à ce sujet. C'est avec délice que je plongeais alors dans l'exploration des algues culinaires. J'écrivis un premier livre, pour partager ma passion des algues. Les chefs cuisiniers accueillirent avec curiosité ces éléments nouveaux. Certains, inventifs, l'intégrèrent dans leur cuisine en tant qu'aromate et décor, d'autres mal informés, ne sachant pas les employer, se découragèrent. Je recherchais les premiers, leur apportant les algues sous leurs formes diversifiées : sèches, fraîches, saumurées, en lames, en paillettes, en poudre : quelle richesse ! Paul Corcellet, grand innovateur de nouveaux produits (poivre vert, avocat, crocodile, etc..), fut lui-même enthousiasmé en découvrant ces saveurs iodées, il en faisait même une démonstration chaque samedi après-midi dans son célèbre magasin près de l'Opéra, à Paris.

Il était désormais possible dans des restaurants renommés de choisir des plats aux algues : chefs et clients y ont prirent goût. Ainsi Roland Magne les afficha-t-il désormais à sa carte. Pierre Vedel ne dédaigna pas d'essayer des wakamés cultivées à Ouessant sur un poisson avec pour accompagnement un gratin dauphinois : l'algue y était présentée en bouquet, croquante et tendre à souhait. Leur façon d'utiliser les algues, ne pouvant être traditionnelle, a donné lieu à une multitude d'interprétations : crèmes salées parfumées à la laitue de mer accompagnant un poisson à Brest, nid d'algues pour y déposer une volaille à Paris ou encore Michel Bras, à Laguiole, célèbre pour ses cuisines d'herbes sauvages, qui fît de la laitue de mer une voile raidie de sucre pour la poser sur une glace à la noix de coco. Le pain aux algues se développa et un chef inventa, à Roscoff, des algues en confitures d'une finesse exquise. Je pus donc, pour la rédaction d'un nouveau livre sur la cuisine des algues, demander aux plus grands chefs français leurs recettes aux algues. Les écoles de cuisine officielles me demandèrent même des cours sur leur emploi.

De temps en temps une activité de restauration servie par un jeune chef talentueux me permit de constater que, si les algues ne faisaient pas encore partie du panier de la ménagère, les Français étaient friands de bonne cuisine aux algues. Une exposition autour de ce thème à l'Espace Japon avec le chef Hisayuki Takeuchi nous permis de voir la réaction de surprise et de plaisir du public japonais devant les algues françaises et leur cuisine. Une journée de la Semaine du Goût réunit de grands noms de la cuisine (dont Pierre-Dominique Cécillon) autour de démonstrations sur la cuisine des algues avec un public enthousiaste. Depuis les algues se sont tout doucement installées. Personne n'est surpris si l'on parle de "manger ces algues". Les algues bretonnes ont peu à peu pris le pas sur les algues japonaises et les formes fraîches saumurées gagnent en notoriété.